Il avait commandé un thé vanille.
Elle, un chocolat chaud au gingembre.

Le salon de thé bourdonnait de voix, de glissements de chaises, de cliquetis de tasses et de cuillères.
Dans ce lieu velours, où les tables trop proches renvoyaient l’effluve des pâtisseries à l’écho des nombreuses rumeurs, eux deux se taisaient. Assis l’un face à l’autre au milieu de l’intime brouhaha, on lisait sur leurs lèvres placides, le trauma d’une tempête, de mots comme la foudre, qui avaient déjà frappé fort.

Lui. Tant de travail, d’efforts, d’années à bâtir l’invisible.
Sa vie, un château de sable face à l’océan.

Elle, plus lucide. Tranchante.
Épanouie ? Heureuse ?
Vivant au rythme des enfants et du quotidien.

Elle avait fini par lui lâcher ce qu’il savait déjà.
Il fallait être réaliste.
Le talent ne suffisait pas.
Si les portes ne s’étaient pas ouvertes jusqu’ici,
peut-être ne s’ouvriraient-elles jamais.

J’y crois moyennement, à cette idée qu’un jour, tout va s’arranger pour toi.

Une phrase comme une gifle. Un couteau dans la plaie. Comment ne pas désespérer, si même son soutien le plus élémentaire ne voit plus la lumière ?

Il avait trouvé la force de répondre.
Qu’il pouvait continuer d’agir, de créer, de tenter.
Passer des coups de fil, solliciter des contacts, provoquer les rencontres.
Il pouvait aussi tout abandonner, trouver un job plus sûr,
au prix d’une « bonne dépression nerveuse ».

Mais croire que tout repose sur ce seul pragmatisme,
c’était nier l’élan, le frisson, l’inexplicable.

Le destin n’entre pas en compte ici, on agit et c’est tout.

Elle avait tranché.
Un point final, net, sans appel.

Elle, qui avait appris à se réfugier dans le mutisme,
qui trouvait qu’on parlait toujours beaucoup… trop.

Ils avaient troqué le dîner contre un simple goûter.
Et maintenant, coincés dans leurs fauteuils moelleux,
entre les va-et-vient des serveurs,
ils mâchaient un cake marbré.
Mécaniquement.
Comme on ronge un frein.

Un nuage sombre lui pesait sur la tête. Il songeait.
Comment sortir de cette grotte ?
Comment faire cet effort devenu insurmontable au fil des disputes ?
Il savait qu’il pouvait faire mieux.
Mais devait-il encore écouter cette injonction silencieuse
qui lui murmurait si fort :
débrouille-toi, mais trouve une issue.

C’était injuste.
Si peu tendre.
À l’exact opposé de ce pourquoi ils avaient décidé d’être ensemble.

La lumière et la joie des premiers temps.
Il revoyait la candeur, l’enthousiasme
quand il avait sorti son premier roman auto-édité.
Quand sa troupe amateur avait joué sa première pièce.

La bouche sèche, pleine de marbré,
il voulait lui dire :

Les portes s’ouvrent, toujours.
Pas comme on l’espère, ni comme on l’attend.
Mais elles s’ouvrent.

Mais il resta muet.
Et elle aussi.

Il inspira, cherchant un ancrage. L’impression de se noyer dans cette conversation en boucle, de n’avoir d’autre choix que d’accepter le doute. Puis, un infime basculement.

À la table d’à côté,
un homme et une femme parlaient plus fort.
Moins embrumés de colère.
Leurs voix flottaient jusqu’à eux.
Ils ne pouvaient qu’entendre.

Des mots étrangement familiers.
Qui parlaient d’écriture.
D’attente.
Des lettres qui ne viennent pas.
Des moins de 1 % qui ont la chance d’être publiés.
Du doute, du silence, des fantômes.

Un miroir.

Il releva les yeux vers elle.
Elle aussi avait entendu.

Un instant suspendu.
Un regard complice.
Un sourire furtif, caché derrière sa tasse.

Tu vois, le destin nous fait là le plus beau des clins d’œil.

Un autre sourire qui répondait :

— Oui. D’accord. Peut-être.

Et dans ce silence qui s’étirait,
elle glissa sa main dans la sienne.
Comme pour dire :

Je suis là.

Alors il sut.

Qu’elle avait entendu.

Enfin.

 

Que malgré ses peurs, malgré ses doutes,

elle n’avait pas renoncé à lui.

Qu’elle pouvait encore voir cette lumière,

même vacillante,

comme la flamme d’une bougie.

 

Fragile.

Mais belle.

Essentielle.

Il reposa sa tasse.

Et elle posa ses lèvres sur les siennes.

j.w

Ce jour que tu ne vois pas encore - Julien Weber

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